À propos de la gouvernance des entreprises
et de l'évolution du capitalisme

Je peux témoigner de l'évolution du capitalisme et de la gouvernance d'entreprise depuis plus d'un siècle. Mon grand-père paternel, né en 1861, est venu en France du Nord de l'Angleterre comme mécanicien en 1888. Mon beau-père, né en 1889 fut formé dans les années 1900; il sortit de l'école Centrale des Arts et Manufactures en 1911. Je fus formé après la 2è guerre mondiale et fus diplômé ingénieur civil des mines en 1960. Mon témoignage couvre donc 100 ans d'expérience industrielle et économique.

Mon grand-père arriva en France en pleine période de croissance économique et d'échanges entre l'Angleterre et la France. Mon beau-père entra dans la vie professionnelle à la fin de cette période qui allait être stoppée par la première guerre mondiale en 1914. Mobilisé en octobre 1911 il fit son service militaire jusqu'en septembre 1913 et fut formé officier d'artillerie. Après son service militaire, il postula pour un poste d'ingénieur de construction de chemin de fer en Argentine, et en attendant il prit un poste d'ingénieur de construction dans un bureau d'étude de génie civil. En France comme en Angleterre - sous l'entente cordiale - l'éventualité d'une guerre avec l'Allemagne se précisait.

Il fut mobilisé le 2 août 1914 par ordre de mobilisation générale; il fit toute la guerre dans l'artillerie, participa à la bataille de Verdun et ne fut démobilisé que le 15 juillet 1919. Après la guerre, il fut d'abord ingénieur à la Société des Grands Travaux de béton armé à la Banque Lippers, puis à la société Delattre à Halluin; et il entra à la Compagnie française d'Éclairage et de Chauffage par le gaz le 14 mars 1922.

Nouvelles technologies offertes à la population des villes depuis peu de temps, toutes les villes françaises étaient alimentées en gaz et électricité par des petites usines exploitées par des sociétés privées ou des régies. Ces petites sociétés avaient été peu à peu regroupées par des sociétés plus importantes permettant des économies d'échelle.

Après un stage dans les services du siège Social de Paris, et à Charleville, il fut nommé Directeur de l'Usine à gaz de Sedan puis Directeur de l'Usine à gaz de Calais en avril 1927. Ainsi, pendant plus de 25 ans, il dirigea la production, la distribution du gaz et de l'électricité dans la région de Calais. Il prit sa retraite en 1952, c'est à dire seulement 7 ans après la fin de la 2è guerre mondiale commencée en 1939, 12 ans après son arrivée. Après la 2è guerre mondiale, la production d'électricité et de gaz fut nationalisée ainsi qu'un grand nombre d'autres grandes entreprises françaises: l'usine de Calais fut transférée à EDF/GDF en 1947 et rattachée au centre de distribution de Lille. La cérémonie organisée à l'occasion de sa retraite témoigne du fonctionnement de son entreprise de 1927 à 1952.

Nationalisations:

À cette époque les entreprises se préoccupaient essentiellement de produire les biens et les services pour lesquels elles avaient été crées. Il s'agissait de satisfaire les besoins de leurs clients, en assurant le bon fonctionnement de l'usine, respectant leurs employés, et prenant part à la vie de la communauté locale. La rentabilité s'imposait pour assurer l'équilibre des recettes et des dépenses et de permettre de dégager une marge bénéficiaire pour les actionnaires qui avaient apporté les capitaux.

La globalisation de l'économie caractérisée par l'exportation de capitaux et de techniques - constructions de chemins de fer, de ponts, d'usines sidérurgiques, et autres infrastructures - dans les pays d'Europe, Autriche, Turquie, Russie, mais aussi Afrique, Amérique du Sud... s'était arrêtée avec la 1ère guerre mondiale. Elle n'avait pas repris après la fin de la guerre ni durant la décennie qui précéda la 2è guerre mondiale et jusqu'en 1950. Le commerce mondial et la globalisation des échanges ne reprit qu'à partir de 1950; on peut distinguer 2 phases: 1950-1975 et 1975-2000; le commerce fut multiplié par 7 au cours de ces périodes, mais avec des caractéristiques très différentes comme je le montre par la suite. Le tableau suivant montre les exportations mondiales entre 1820 et 1998. Forte croissance de 1870 à 1913 en Europe (multiplié par 4); stagnation de 1913 à 1950; très forte croissance de 1950 à 1976 (multiplié par 7 pour l'ensemble du monde); et de 1976 à 1998 (multiplié par 6.94 pour l'ensemble du monde).

Après la deuxième guerre mondiale, les pays d'Europe furent fortement aidés dans leurs efforts de reconstruction par les États-Unis. Ce fut le plan Marshall. Le but était d'aider les pays dévastés par la guerre à reconstruire leurs infrastructures et leurs industries, reconstituer l'économie et le commerce mondial interrompu par 30 ans de guerre depuis 1914, et empêcher l'essor du communisme de l'URSS - commencé depuis la révolution de 1917. Comme l'avaient compris Churchill et Roosevelt, la menace pour les pays démocratiques après la guerre, viendrait de l'URSS. Celle-ci a précisément fait basculer tous les pays d'Europe de l'Est que l'armée rouge avait libérés de l'occupation allemande - Tchecoslovaquie, Pologne, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Allemagne de l'Est séparée de l'Allemagne d'avant la guerre et constituée en État indépendant - en États communistes satellites de l'URSS. Cette situation provoqua la guerre froide, le blocus de Berlin, l'affrontement Est-Ouest dans toutes les parties du monde - Afrique, Asie, Amérique du Sud - et devait perdurer jusqu'en 1989 date d'effondrement de l'URSS, 72 ans après la révolution russe de 1917 qui vit la tentative d'un régime marxiste et communiste comme alternative viable au capitalisme.

Voir ces liens.

Pour ce qui me concerne, j'ai débuté en 1962 au Centre d'études et de recherches des Charbonnages de France Cerchar devenu Ineris; je suis passé aux houillères du bassin du Nord et du Pas de Calais, groupe de Valenciennes en 1965; puis aux aciéries de Paris et d'Outreau en 1971; puis aux établissements Jean Sabès à Anzin en 1974, et enfin à la Société Française d'études minières Sofremines, dans le Groupe Sofresid (société française d'études sidérurgiques) fin 1976.

Dans toutes ces sociétés, la rentabilité financière n'était pas la préoccupation principale. À Sofremines/Sofresid, la société gagnait bien sa vie. La direction se préoccupait principalement d'assurer un carnet de commandes permettant d'occuper à plein le personnel, composé principalement d'ingénieurs, cadres, projeteurs et dessinateurs, et de personnels de chantiers chez les clients. L'activité se faisait à plus de 50% à l'export. Les bénéfices était bons et le personnel bien traité en salaires, en primes semestrielles et en indemnités de déplacements à l'étranger. Les actionnaires étaient les grands groupes industriels français: Total, Elf Aquitaine, Usinor, Charbonnages de France, Heurtey Industries. Ces actionnaires n'étaient pas très exigeants quant à la production de résultats financiers. Il est vfrai que leurs apports en capitaux n'avaient pas été très importants et que l'actif net de Sofresi n'avait cessé d'augmenter. Les actionnaires recevaient leur part des bénéfices restants, après paiement du personnel et de leur participation.

Tout a commencé à changer à partir du début des années 1980.


Mis en ligne le 20/04/2008 par Pierre Ratcliffe. Contact: (pratclif@free.fr) sites web http://paysdefayence.blogspot.com et http://pierreratcliffe.blogspot.com